Présentation de l'épreuve
La Formule 1 arrive à Hockenheim pour la dixième manche du championnat du monde. L'effet de sol a changé l'appréhension de ce tracé qui autrefois nécessitait un choix cornélien entre une faible charge aérodynamique pour négocier à haute vitesse ses grandes lignes droites, et un appui important exigé par les sinuosités du Stadium. La façon d'aborder la courbe ouest avait notamment une grande importance car elle présidait au retour vers le Stadium. Mais avec l'effet de sol, l'adhérence des voitures est telle que cette difficulté est presque gommée. Restent à éviter les nombreuses bordures qui endommagent les jupes.
Emerson Fittipaldi a mis au placard sa vieille F5 pour utiliser de nouveau la F6, rebaptisée F6A. Elle a en effet été considérablement remaniée depuis sa désastreuse sortie à Kyalami. Les éléments qui faisaient son originalité, comme les pontons très reculés et les jupes en « accordéon » ont été supprimés pour adopter un profil plus classique. Hélas il apparaît rapidement qu'elle souffre toujours de défauts d'adhérence. Fittipaldi affiche une mine très sombre. On en vient à se demander comment ce surdoué, ce superbe pilote, très intelligent, technicien pointu, a pu à ce point se fourvoyer dans cette aventure brésilienne qui semble de plus en plus vouée à l'échec.
Chez Tyrrell, la 009 étrenne un train arrière modifié qui selon Didier Pironi apporte un gain d'adhérence appréciable. Jean-Pierre Jarier est absent ce week-end car il est hospitalisé pour une hépatite virale. Son remplaçant est l'Anglais Geoff Lees, 28 ans, ancien champion de Formule Ford qui court actuellement en CanAm.
Pour cette course McLaren emmène une deuxième M29 pour Patrick Tambay. Elle tombe à point nommé pour le Français qui n'a toujours pas inscrit de point cette année-là et commence à être sévèrement critiqué outre-Manche.
Les qualifications
Le circuit est favorable aux Renault, aussi rapides dans les lignes droites que dans le Stadium. Le moteur français est si performant que les Jaunes peuvent rouler avec beaucoup d'appuis sans perdre de la vitesse de pointe. Jabouille réalise la pole position avec un chrono exceptionnel réalisé le vendredi : 1'48''48''', soit trois secondes de moins que la pole d'Andretti en 1978. La Williams survire dans le Stadium et après avoir hésité entre deux voitures, Jones se contente de la deuxième place sur la grille. Cela va mieux pour Ligier puisque Laffite obtient la troisième place. Le valeureux Piquet est quatrième. Les Ferrari se comportent un peu mieux qu'à Silverstone : Scheckter est cinquième et Villeneuve neuvième. Au sixième rang on trouve Regazzoni, tandis que la quatrième ligne est occupée par Lauda et Pironi. Victime de problèmes de moteur, Arnoux n'est que dixième.
Andretti et Reutemann ont amélioré d'une seconde et demie les chronos réalisées par leurs 79 un an auparavant. Mais ils ne sont plus qu'onzième et treizième sur la grille... Sic transit... Ils encadrent Watson, déçu par sa McLaren M29. Suivent Ickx, Tambay, Lees, Rosberg, puis les Arrows et les Shadow. Le pauvre Fittipaldi n'est que 22ème. Stuck et Rebaque occupent la dernière ligne tandis que Gaillard et Merzario ne sont pas qualifiés.
Le Grand Prix
La chaleur est au rendez-vous de ce dimanche après-midi. Jean Sage, directeur sportif de Renault, est inquiet : le turbocompresseur n'aime pas les fortes températures... De son côté Carlos Reutemann n'est pas en forme du tout et commet de grosses fautes d'inattention lors du warm-up. Il refuse pourtant de déclarer forfait.
Départ : Jones prend le meilleur envol et s'empare tout de suite du commandement. Laffite est aussi bien parti et déborde Jabouille par l'extérieur au premier freinage. Suivent Piquet, Scheckter et Regazzoni.
1er tour : Jabouille dépasse Laffite à l'Ostkurve. Au même endroit Scheckter déborde Piquet. Puis Regazzoni double le Brésilien à l'Onkokurve.
Jones mène devant Jabouille, Laffite, Scheckter, Regazzoni, Piquet, Lauda, Pironi, Andretti et Villeneuve. Stuck sort de la route suite à un bris de suspension avant. Comme l'année précédente, sa course nationale s'achève au premier tour.
2e : Jones et Jabouille prennent l'ascendant en tête. Lauda prend la sixième place à Piquet. Arnoux et Tambay ont doublé Villeneuve. Après une touchette avec Mass, Reutemann quitte de la piste à la deuxième chicane et tape le rail à très haute vitesse. La Lotus est très endommagée mais heureusement son pilote est indemne.
3e : Jones et Jabouille sont séparés par une seconde. Laffite, Scheckter et Regazzoni parviennent encore à les suivre. Andretti prend la huitième place à Pironi.
4e : Arnoux double Pironi en début de tour. Puis, après s'est débarrassé de Tambay, Villeneuve prend l'avantage sur le Français de Tyrrell.
5e : Jones mène devant Jabouille (1.8s.), Laffite (3.9s.), Scheckter (5s.), Regazzoni (6.8s.) et Lauda (11s.). Andretti prend la septième place à Piquet. Villeneuve repasse devant Arnoux. Pironi est en difficulté et se fait doubler par Tambay, Ickx et Watson. Fittipaldi renonce suite à une panne d'allumage sur sa Copersucar.
6e : Jabouille est revenu à une demi-seconde de Jones. Villeneuve remonte puisqu'il double Piquet puis Andretti. Piquet s'incline ensuite face à Arnoux.
7e : Jones et Jabouille se suivent de près et ont maintenant six secondes d'avance sur leurs trois poursuivants Laffite, Scheckter et Regazzoni. Villeneuve menace Lauda et Arnoux double Andretti.
8e : Jabouille est sur les talons de Jones. Mais malheureusement dans le Stadium ses roues arrière se bloquent et il part en tête-à-queue à la Sachkurve. La Renault est plantée dans le sable et son moteur cale. Jabouille sort de sa voiture. Jones n'a plus de rival pour la victoire. Pendant ce temps-là Regazzoni déborde Scheckter et Villeneuve prend la cinquième place à Lauda.
9e : Jones mène maintenant avec sept secondes d'avance sur le trio Laffite - Regazzoni - Scheckter.. Villeneuve est cinquième à dix-huit secondes. Le Québécois rencontre des soucis d'alimentation et ne peut pas remonter sur ceux qui le précèdent. Arnoux a pris la sixième place à Lauda.
10e : La course est finie pour Renault : le pneu arrière droit d'Arnoux éclate et endommage irrémédiablement la suspension. Le jeune Français parvient à maîtriser sa voiture et s'arrête dans l'herbe.
11e : Jones est premier devant Laffite (7.8s.), Regazzoni (8.6s.), Scheckter (9.6s.), Villeneuve (21.3s.) et Lauda (24.7s.). Suivent Andretti, Piquet, Ickx, Tambay, Watson et Pironi, tous regroupés derrière Lauda.
12e : Watson prend la dixième place à son équipier Tambay.
13e : Regazzoni dépasse Laffite à la deuxième chicane. Les Saudia-Williams occupent les deux premiers rangs. Ickx prend la huitième place à Piquet.
14e : Laffite donne le maximum pour rester derrière Regazzoni. Sans doute un peu trop puisqu'il sort de la première chicane en mettant deux roues dans l'herbe. Ickx double Andretti.
15e : Jones a onze secondes de marge sur Regazzoni. Laffite et Scheckter demeurent pour l'instant dans le sillage de ce dernier. Villeneuve a vingt-cinq secondes de retard. Andretti est maintenant à la peine puisqu'il est doublé par Piquet et par Watson.
16e : Rebaque s'arrête à son stand. En bord de piste, Fittipaldi et Reutemann discutent de leurs mésaventures.
17e : Andretti s'arrête dans l'herbe à cause de la rupture d'un demi arbre de roue. Pironi s'arrête au stand Tyrrell pour faire réparer une jupe endommagée sur un trottoir.
18e : Jones soutient un rythme très élevé et possède treize secondes et quatre dixièmes d'avance sur Regazzoni. Laffite et Scheckter ne peuvent plus suivre le Tessinois. Cela leur est de toutes façons inutile tant la Williams est rapide, et ils préfèrent ménager leurs pneus.
19e : Andretti a rejoint Fittipaldi et Reutemann à la conférence des pilotes hors course se tenant à la deuxième chicane.
20e : Jones mène devant Regazzoni (14s.), Laffite (19s.), Scheckter (22s.), Villeneuve (38s.) et Lauda (45s.). Celui-ci traîne dans son sillage Ickx, Piquet et Watson.
21e : Rebaque passe de nouveau par son stand. Il se plaint d'une tenue de route désastreuse et repart après avoir changé de gommes.
22e : Chez Williams on constate une légère distorsion du pneu arrière droit de la voiture de Jones. Celui-ci est affecté par un faible dégonflement. Cela est inquiétant mais ne ralentit pas pour l'heure l'Australien.
23e : Seize secondes séparent Jones et Regazzoni. Tambay est en bagarre avec Mass pour la dixième place. Ils se livrent à un beau duel avant le Stadium, remporté par le Français.
25e : Le pneu arrière droit d'Ickx éclate à l'Ostkurve. Le pilote belge stoppe dans l'herbe. Les dégâts sont impressionnants : l'intégralité du demi-train arrière a disparu. Tambay se fait doubler par les Arrows de Mass et de Patrese. Rebaque renonce à cause d'une tenue de route désastreuse.
26e : Lauda est revenu derrière Villeneuve et menace sa cinquième position.
27e : Jones a vingt secondes d'avance sur Regazzoni. A 25 secondes se trouve Laffite qui précède toujours Scheckter. Lauda dépasse Villeneuve à la première chicane.
28e : Villeneuve reste dans le sillage de Lauda. Le moteur Alfa Romeo de l'Autrichien rend l'âme dans le Stadium. C'est son neuvième abandon en dix courses !
30e : Jones mène devant Regazzoni (21.3s.), Laffite (27.2s.), Scheckter (30.4s.), Villeneuve (1m.3s.), Piquet (1m 6s.). Viennent ensuite Watson, Patrese, Mass et Lees.
31e : Jones s'inquiète car une bulle de vapeur commence à se former dans son circuit d'alimentation. Le Cosworth a quelques ratés mais tient bon. Jusqu'alors douzième, Rosberg s'immobilise dans le Stadium avec une pression d'huile à zéro. De son côté Tambay retourne à son garage avec un bris de suspension à l'arrière et un moteur surchauffant. Il met pied à terre.
32e : Piquet est maintenant juste derrière Villeneuve dont les pneumatiques se dégradent mais qui surtout voit son aileron arrière se fissurer !
33e : Scheckter commence à perdre le contact avec Laffite. Piquet prend la cinquième place à Villeneuve.
35e : Malgré ses soucis de moteur et de pneu, Jones a encore vingt secondes d'avance sur Regazzoni. Le pneu arrière droit de Patrese éclate après l'Ostkurve. Le jeune Italien arrête son Arrows dans l'herbe.
37e : Jones prend un tour à Mass : il n'y a plus que six voitures dans le même tour que lui. A cause de pneus dégradés, Scheckter ne peut plus suivre Laffite. Il comptabilise maintenant huit secondes de retard sur son rival français.
38e : L'aileron arrière de Villeneuve se fend en deux. Le pilote canadien parvient à regagner son stand. Il y fait changer ses quatre roues ainsi que son aileron, tandis que l'on verse de l'eau pour refroidir les radiateurs. Villeneuve reprend la piste en neuvième position.... au niveau de Scheckter
39e : Grâce à l'arrêt de Villeneuve, Watson entre dans les points. Personne derrière lui ne peut le menacer.
40e : Jones est de plus en plus lent car son moteur bafouille. Avec ses pneus neufs, Villeneuve réalise le meilleur tour de la course : 1'51''89'''. Il roule de concert avec Scheckter, très irrité car son stand ne lui indique pas s'il se trouve dans le même tour que son équipier !
41e : Jones est leader devant Regazzoni (11.6s.), Laffite (19.3s.), Scheckter (28s.) et Piquet (1m.4s). Watson est sixième, suivi par Mass, Lees, Villeneuve et Lammers.
42e : Regazzoni rattrape son équipier au rythme de deux secondes par tour. Jones doit composer avec un moteur qui coupe par intermittence et un pneu arrière droit qui se dégonfle.
43e : Six secondes séparent Jones et Regazzoni. Le moteur de Piquet part en fumée : encore une course calamiteuse pour Brabham-Alfa. Le Brésilien s'arrête derrière la Lotus d'Andretti. Mass entre dans les points.
44e : Jones serre les dents et espère tenir jusqu'au bout. Il a quatre secondes d'avance sur son coéquipier. Laffite est à seize secondes.
45ème et dernier tour : Malgré un moteur à l'agonie et un pneu presque crevé, Alan Jones franchit clopin-clopant la ligne d'arrivée et remporte sa deuxième victoire en Formule 1, la première pour le compte de Williams. L'équipe anglaise réalise un doublé avec la deuxième place de Regazzoni. Laffite termine troisième devant Scheckter, son rival au championnat. Malgré de sérieux problèmes avec ses freins, Watson est dans les points pour la seconde fois consécutive. Mass inscrit le premier point de l'Arrows A2. Lees termine septième pour sa première course. Il précède Villeneuve, Pironi, Lammers et de Angelis.
Après la course
Alan Jones a été très brave en cette fin de course et sa ténacité est récompensée par cette splendide victoire. Lorsqu'il regagne les stands, ses mécaniciens s'aperçoivent que son pneu arrière droit est presque à plat. C'est dire le courage qu'a fait preuve l'Australien pour aborder ces derniers tours à 220 km/h de moyenne ! Pour Frank Williams, c'est l'extase : autrefois condamnées au fond de grille, ses voitures dominent désormais la Formule 1. « C'est le plus beau jour de ma vie » déclare-t-il simplement.
Pour la première fois depuis de nombreuses semaines, « Jacquot » Laffite a le sourire puisqu'il a enfin réussi à reprendre un point à Scheckter.
Enfin, ce triplé Goodyear compense quelque peu les échecs subis depuis le début de l'année par la firme américaine face à Michelin.
Néanmoins, le règlement divisant le championnat en deux parties, Williams et ses pilotes ne peuvent pas prétendre aux titres mondiaux. Au classement des conducteurs Scheckter a sept points d'avance sur Laffite et neuf sur Villeneuve. Le Sud-Africain est plus récompensé par sa grande constance que son brio. En ce qui concerne la coupe des constructeurs Ferrari est solidement attachée au premier rang avec quatorze points d'avance sur Ligier-Ford-Cosworth. Grâce à ce doublé Williams prend la troisième place à Lotus qui est en train de sombrer.
Tony